« REC »

« REC »

Un homme filme des canards qui se regroupent au bord du chemin. Il ne regarde pas les canards qui lui plaisent tant, il regarde son écran de téléphone pour viser cette partie du réel qui lui plait. Il sourit car il pense probablement déjà au moment où il montrera ce bel instant à ses proches. Le présent n’a donc plus beaucoup d’importance à ses yeux puisqu’il est archivé, et de ce fait, il suffit d’appuyer sur « play » pour le faire renaître à volonté. En tout cas, on est en droit de le penser. Il sourit et ne se rend plus compte qu’il ne regarde pas les canards, il les filme, il les met en scène en choisissant un cadre. Il sourit au réel qu’il gomme, au présent qu’il nie totalement. Il est tout à fait satisfait de ne pas être ancré dans l’instant, mais de rapporter à sa famille ses belles images. Et je pense à ces enfants des villes qui eux ne voient des animaux principalement qu’en vidéo. Pour eux le monde extérieur n’est presque jamais appréhendé directement que par le biais d’un média. Cet homme n’a aucune conscience de cela parce que son geste est simple et sans conséquence directe. Pour une personne extérieure qui prendra le temps de regarder ce spectacle, son geste est vertigineux. Il ouvre littéralement la porte au néant. Ce mot qui cesse d’exister dès qu’on le prononce… Le désastre qui se produit alors est sans limite. C’est le réel qui disparait instantanément dans la joie la plus innocente. C’est un être qui sourit à l’appel du vide… Vous pourrez toujours penser que j’exagère mais… en même temps… essayez de me donner tort.

Guillaume Lambot

Illustration de Darya Garegani