Eroticotopia

Eroticotopia

Jouir sans posséder. 

Disposer de tout tout le temps et par conséquent ne plus envier, ne plus rationner ou gaspiller. 

S’unir sans dominer. 

De tous temps, l’Homme s’est projeté dans un fantasme. Il a voulu rêver un nouveau monde. Non pas pour le remplacer par un autre, mais davantage pour renverser ce que l’on connait – nos représentations – et peut être pourquoi pas un jour s’en inspirer pour faire évoluer les choses.

De tous temps, dis-je, l’Homme fut amené, par une irrésistible envie qui fait de lui le fils de Prométhée et donc l’être doté d’une nature transgressive ou du moins révoltée. C’est pourquoi, à la manière des gamins qui rêvassent pour troubler l’ennui, l’humain s’est mis à produire des récits fantastiques et merveilleux de mondes idéaux qui nous aidèrent à supporter l’injustice du monde et qui nous fixèrent un objectif en quelques sortes. 

Il existe une grande variété d’utopies : sociales surtout, politiques, fictives ou réalistes, positives ou infernales, pourquoi pas…  

En tout cas c’est au 18ème siècle qu’un genre d’utopie proliféra. Il fut la plupart du temps axé sur l’établissement de nouvelles interactions entre les sexes. 

Ce courant de pensée prit en compte les aspects érotico-sociaux qui d’habitude sont occultés par des préoccupations d’ordre structurel et politique… On peut d’ailleurs ouvrir ici une petite parenthèse et noter que l’ensemble des utopies négatives, les dystopies, s’affairent à nier voire détruire par le biais du totalitarisme toute idée de sexualité.

Les utopistes*, pour la plupart, relataient des histoires de sociétés unisexes qu’une lointaine discorde avec le sexe opposé avait poussées à l’exil, le plus souvent sur une île perdue dans un espace immémorial**. Ces peuples pouvaient aussi être les derniers rescapés d’un massacre qui leur donna une occasion de reconstruire et de repenser la société plus justement, ou en en prenant, moins raisonnablement, le contre-pied.

En terme d’érotisme et de politique de vie rien ne fut donc pris en considération… Ce qui me pousse à proposer un nouveau modèle tout droit inspiré des précédents : l’utopie socio-érotique ! Ou encore le bio-socialisme érotique qui considère non plus les interactions mais la matière même des êtres qui la composent et ce en harmonie parfaite avec leur environnement. L’idée d’anéantir toute idée de pouvoir à travers la refonte des rapports érotico-sociaux, l’annihilation des codes esthétiques et la prise en compte des matériaux constitutifs du monde afin d’harmoniser notre rapport à l’autonomie (c’est-à-dire se débrouiller pour survivre sans outrances).   

Le socialisme érotique non pas dans le sens de la sexualité de groupe mais bien en vue d’en extraire les mouvements, les stratégies, les comportements contenus dans l’érotisme, mêlés à l’utopie socialiste, qui s’évertue à briser les carcans sociaux et les rapports de dominations.

LE BON SENS

Personnellement, on jouit de la liberté et du bonheur qui en découle. Collectivement, on crée des liens, on négocie, on s’aventure, on tente de s’accorder, de s’harmoniser à l’autre dans un but commun : pérenniser. Et cela grâce à des actions et des décisions régies par un tas d’acquis du domaine du bon sens : une vie humaine soucieuse d’harmoniser sa vision propre, dorénavant humaniste – jadis anthropocentriste – avec son environnement, respectueuse donc et enfin renouvelable. Chaque action doit s’inscrire dans un continuum de responsabilités vis-à-vis du reste du monde. Pas tant du point de vue spirituel mais finalement pourquoi pas, mais plus prosaïquement de manière matérialiste. Seule dose matérialiste tolérée. Il s’agit d’avoir une vision claire du monde, des conséquences de chaque acte, de chaque exploitation. Un regard perçant sur les éléments qui composent les êtres et qui constituent l’essence même de la vie. Dénué d’anthropocentrisme, il s’agit de se révolter contre soi-même, de se méfier de sa nature profonde, de ses réactions reptiliennes sans pour autant les empêcher d’être, en les canalisant du moins pour qu’elles ne s’épanouissent pas vers l’idéologie et la sclérose de l’esprit. Se soustraire à l’idée de possession, refuser la pulsion morbide de consommation. Aller même jusqu’à bannir ce type de mot du vocabulaire pour en effacer les concepts de notre ligne de conduite. 

Il faut se défaire du narcissisme qui finira par nous noyer et que la publicité, comme une main qui retient la tête sous la surface, entretient, réanime et attise les flammes à coups de slogans auxquels personne ne croit. Et pourtant ils nous titillent là où ça fait du bien et on se rend compte bien tard qu’on a craqué. « Ce qui est unique chez nous, c’est vous »…

Il s’agit d’abord de s’aimer soi-même à travers le regard de l’autre, désormais l’alter ego, le cohabitant-composant du même biotope, nanti d’une sagesse commune basée sur l’amour désintéressé, le respect de toute chose et la bienveillance.

Cette bienveillance consciente du fait que nier l’autre, c’est l’amener à prendre de déraisonnables résolutions pour exister.  

Cette même conscience qui tiendra loin d’elle tout discours de paix, un point de vue englobant, qui nie les difficultés de chacun et la complexité du monde… Il est dangereux de simplifier.  

Car tout est une question d’éclairage. Avoir une vision éclairée, pleine, peut-être parfois paradoxales mais construite et outillée. Nous devons être éduqués avec le sens de l’altérité, la curiosité qui, on le sait, supplantent la peur et la méfiance exiguë. Il est préférable de posséder en chacun de nous un solide bagage de bon sens, héritage d’une éducation soigneuse et attentive, lorsqu’accompagner n’est pas assister. « Une bonne mère est celle qu’on quitte ».

Le bon sens est d’aider à réinventer des moyens de cohabitation et de survie équilibrés et non de refondre vainement des dogmes sociétaux qui divisent, contrairement à l’utopie sociale, qui est en recherche constante d’harmonie.

L’UTOPIE SOCIO-ÉROTIQUE

Retrouver une position adéquate pour sécréter et avoir des échanges, c’est-à-dire abandonner la stature verticale, hiératique, inconfortable des grandes villes ou tout semble à portée de main mais en réalité complètement creux et infécond. Nous baladant entre ces jambes de béton gigantesques, nous nous retrouvons à la place de l’enfant qu’on tient par la main, dépendant de tout, sans aucune autonomie, doté de savoir-faire spécifiques, le reste étant laissé à l’abandon, nécrosé.  

Au contraire, adoptons une position aplanie. Une goutte qui coule sur la terre chaude et grasse, qui se déverse, se fraye un chemin. Créer une condensation de gouttelettes qui s’amoncellent et finissent par se toucher, formant ainsi une seule masse. Créer des liens, tisser son réseau collaboratif. Fonder une multitude de micro univers simples, d’échanges raisonnables.

Internet permet ce retour à l’horizontalité. En étant connectés, nous pouvons habiter presque partout, nous former à distance. Mais si c’était le cas, les réseaux de transports collectifs devraient se redévelopper, reprendre racines dans les terres oubliées que la délocalisation systématique des lieux de productions a fini par délaisser.

Quitter donc les résidus de l’ère industrielle dont les plaisirs rapides n’ont pour seul but que de nous faire croire à une certaine appartenance, avec nos salaires de travailleurs, à celle de la classe moyenne, épanouie, pouvant se payer ce qu’elle veut, et s’en sortant toujours à coups de crédits. Ayons le courage de former un exode urbain.

Abandonner ce mirage que nous renvoient les médias qui sont malsains et de vulgaires palliatifs à un profond malaise. Pauvres fous enfermés parmi des miroirs, pleins de désirs mais pas les bons.

Au fond l’idée la plus sage serait de laisser l’utopie là où elle devrait rester : dans le magma de la pensée. Neverland, n’est-ce pas ça l’enfer ? Mieux vaut être parcimonieux. Avoir un pied dans le réel et garder de l’inconnu pour l’autre. Réaliser un fantasme ne laisse-t-il pas place au vide ? Mieux vaut en rester là… 

* Nom donné aux penseurs et artistes du 18ème siècle qui s’approprièrent le sujet.

** Très inspirée du fondateur du néologisme Utopia (1516) (du grec ou toppos : en français en aucun lieu) Thomas More.