DIGRESSIONS

DIGRESSIONS

L’été 2013, j’étais prêt à aimer. D’ailleurs je ne vais vous parler essentiellement que d’amour. 

Je décidais de mettre des limites à ce que j’avais de plus sauvage, de plus insondable. Je décidais de me limer les dents et de me couper les griffes… Mais contrairement à la fable de Jean de La Fontaine, je le faisais par souci de prudence.

Lorsqu’on fait ce choix, on décide de se mesurer, de se préserver, parce que sans barrière tout déborde. On finit par aimer les limites à force d’excès. Sans elles, nous serions consumés par un amour démesuré.  

Alors je me suis contrôlé, afin de me concentrer sur le bonheur d’une autre personne que moi. Souvent j’ai failli, comme celui qui croit faire plaisir à tout le monde. Mais j’ai persévéré dans cette voie, aimer, comme seul objectif pour guider mon action. Comme si j’avais perdu le droit de vivre et qu’il me fallait le récupérer par ce biais.

Beaucoup ont pensé la révolte comme l’expression collective d’un refus. Le refus du salut, c’est-à-dire ne pas accepter le fait de souffrir sous prétexte qu’un jour peut être l’humanité retrouve un équilibre. Ne pas accepter la promesse de jours meilleurs mais exiger un droit à la dignité immédiatement.  

Ô monde, Ô mon amour…

Souvent je me trouve dans le métro, je regarde les gens si je ne lis pas. En général leurs yeux plongent vers le petit écran d’un téléphone chinois ou américain. Je me sens étranger à tout cela, et soulagé aussi de n’avoir qu’un téléphone sans applications, dénué de toutes formes d’option utiles et moins utiles. Je constate que l’ennui a presqu’été éradiqué des grandes villes où l’on se déplace beaucoup, on mange vite et on essaye de dormir longtemps… Un jour on dira: « Au fond, c’était bien l’ennui… » La  société du divertissement me démontre tous les jours qu’elle est en train de gagner la bataille. Tous ces cerveaux qui fonctionnent exactement de la même manière, ils exécutent les mêmes tâches, ils ne perçoivent plus aussi bien les stimuli extérieurs, toutes ces pensées qui fonctionnent juste à lire des actualités et à faire bouger le pouce du bas vers le haut de l’écran. 

En parlant du métro, il y en a qui poussent le vice jusqu’à y manger, un vieux sandwich ou de la bouffe de rue pourvu que ça sente! En tout cas quelle idée! Mais je peux comprendre. Plus personne ne se respecte. Plus un employeur ne considère le temps comme du confort. Une demi-heure pour manger c’est bien suffisant et livré par des mandaïs c’est encore mieux.

C’est aussi refuser l’injustice d’un présent même si celle-ci est vécue comme vérité. On s’insurge contre le vrai parce qu’il est insupportable! Voici la naissance de la révolte! On combat à l’intérieur du monde dans ce qu’il a de détestable sans perdre de vue notre amour initial de ce monde.

J’en sais rien mais il parait que les militaires en formation ne tiennent plus le coup. La moitié n’arrive pas à résister psychologiquement et laisse tomber toutes ses ambitions martiales avant terme. On aurait pu penser : logique! Les mecs triment, se font gueuler dessus, se font réveiller à pas d’heure pour une marche forcée… Ben non, il n’en est rien. Ça, apparemment il y a moyen de le faire easy. La vérité c’est que peu de jeune gens de nos jours sont capables de se passer de leur smartphone durant la journée. Les trouffions se disent: « Mais allô comment je vais savoir si on m’a laïqué today?! » et ils rendent leur paquetage sans avoir eu le temps de verser une goutte de sueur. Ils dépriment donc. Comme moi. C’est ce qui me sauve, c’est ma sensibilité à la dépression. Car quoi de plus déprimant que de fixer ses yeux sur les photos de vacances de unetelle ? Quoi de plus déprimant de constater que les gens exposent leurs vies comme des petits cacas de cuvette… ? Quoi de plus déprimant que de contempler l’être aimé alors qu’elle ou il ne prête plus aucune attention à vos sollicitations ? Quoi de plus déprimant que de voir défiler des sujets, des news, des chroniques aussi creuses, vaines et sans objet ? Andy Warhol aurait adoré ce petit machin lumineux qui peut faire de toi une star, répondre au tweet du président et qui brasse et génère du vide en continu… 

Ses conditions sont indissociables sous peine de nous faire basculer dans la folie, de désirer la mort et le néant, comme tout bon révolutionnaire tirerait sa revanche sur une vie de déceptions par le sacrifice des siens et pourquoi pas de lui-même. En résumé, l’amour doit précéder la révolte.

De nos jours les gamins sont cernés. Surtout le week-end, où ils ne dorment plus. Ils sont restés coincés des heures, parfois des jours durant, devant l’écran assis sur des pots de chambre. Pour reparler de l’armée, américaine en l’occurrence, elle sera toujours leur créneau idéal pour trouver du boulot, au bout du joystick, à la maison, pour balancer la purée à l’autre bout du monde. Et non, ceci n’est pas une métaphore sexuelle glauque! 

Notre fin passera sur les écrans… Mais qui pourra encore regarder…?

Ceux qui aujourd’hui se révoltent sont gravement exposés aux radiations politiques. Ils sont mitraillés de microparticules de la bien-pensance véhiculées par les partis puis rendues publiquement incontournables par les médias de masses. Dans les plus brefs délais, ils meurent de par la pression, celle qui fait tendre tout état de révolte à celui de révolution. Et lorsqu’on se retrouve dans cet état de révolution, comme le mot l’indique, on a toutes les chances de revenir à son point de départ et de recommencer en boucle indéfiniment. L’état de révolte est infiniment supérieur en ceci qu’il n’a pas d’idéologie. Il refuse de parer le réel d’un cosmétique quelconque, il veut le garder bien visible!

On a beau couper des têtes, celles de 1789 ou de 1792 s’en souviennent encore, est-ce par cela que le monde change? Sommes-nous sortis de l’ancien régime? Vraiment? 10000 familles de nobles ont payé une note bien salée et s’ils nous voyaient aujourd’hui, ils seraient franchement déçus…