Lorsque “Choisir la révolte” s’est imposé comme thème à l’équipe de Culture Zero me sont venues à l’esprit ces images de révoltés : des jeunes manifestant dans les rues dans de nombreux pays du monde arabe. C’était fin 2010 – début 2011. À l’époque, je ne me suis pas vraiment intéressée à ces informations des journaux télévisés, probablement trop occupée à autre chose. Alors au printemps 2019, avec ce thème, j’ai sauté sur l’occasion d’en savoir un peu plus. Voici ce que j’ai appris.
Je plante le décor.
17 Décembre 2010. C’est la date qui est majoritairement reconnue comme le départ de ces contestations populaires, appelées “Printemps arabe”. Tunisie. Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans, s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat tunisien. Il est jeune, diplômé et sans emploi. Pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille, il travaille comme marchand ambulant. Régulièrement, l’autorité au pouvoir lui confisque son outil de travail, une charrette. Il choisit de mourir plutôt que de vivre dans la misère.
Ce suicide entraîne une vague de colère chez les jeunes, qui se reconnaissent en Mohamed. Ils manifestent alors dans les rues tunisiennes leurs désaccords avec leur gouvernement et l’accusent de dégrader leurs conditions de vie. Malgré la répression, la colère se propage et les manifestations se multiplient. Après un mois de révolte, ils obtiennent la démission du président Ben Ali. Vingt-trois années passées à la tête du pays.
Quelques jours plus tard, c’est au tour des Égyptiens d’envahir les rues avec les mêmes revendications : ils réclament du travail, la baisse des prix des aliments et le droit de s’exprimer librement. Ils dénoncent les actions sans foi ni loi des forces de sécurité du pays et la torture devenue courante. Ils réclament le départ de leur président. Après trois semaines de révolte et manifestations, Hosni Moubarak quitte le pouvoir. 30 ans de dictature.
En Lybie, même si des mesures préventives (interdiction des rassemblements, baisse des prix des aliments de base, etc.) avaient été mises en place par Mouammar Kadhafi, les manifestants se rassemblent dans les rues. Ils sont très violemment réprimés. Le mouvement se transforme en une insurrection armée, puis en guerre civile. On compte des milliers de morts. Mouammar Kadhafi, en fuite avec sa famille, continue à appeler au combat, il sera tué en octobre 2011. 41 ans au pouvoir.
Les Yéménites envahissent eux aussi les rues pour dénoncer la transmission héréditaire du pouvoir et réclament le départ de leur président Ali Abdallah Saleh, qui finira par céder le pouvoir et quitter le pays après 32 ans de pouvoir. En 2014, il s’allie avec les rebelles chiites Houthis, soutenus par l’Iran, pour prendre le contrôle de Sanaa, la capitale. Il sera tué lors de combats en décembre 2017.
En Syrie, ils sont des milliers à se rassembler dans les rues et les manifestations sont également violemment réprimées par les forces de l’ordre, qui n’hésitent pas tirer sur la foule et à bombarder les villes. Les Syriens réclament la suppression de la loi sur l’état d’urgence qui les prive de leur liberté et le départ de leur président Bachar el-Assad. La Syrie bascule alors dans une longue guerre civile qui fait des centaines de milliers de morts. Quant à Bachar el-Assad, il se présente comme le rempart d’une nation unie, stable et laïque, face à des bandes de terroristes financées par des puissances étrangères. À ses côtés, la Russie qui intervient militairement en Syrie et l’Iran qui renforce le déploiement des milices chiites.
De nombreux massacres, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été et sont commis. Plus de 500.000 morts seraient comptabilisés.
Les révoltes se sont ensuite propagées avec une intensité variable dans d’autres sociétés arabo-musulmanes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient; l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie, le Soudan, l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Oman ont toutes connu des révoltes.
Qu’ont en commun toutes ces révoltes ?
Même si ces révoltes sont vite devenues populaires, ce sont d’abord les jeunes -sans leadership déclaré- qui ont initié le mouvement ; ils ont ensuite été rejoints par les travailleurs et des activistes de différents horizons politiques et des femmes. Celles-ci ont un rôle très actif dans ces manifestations. La principale caractéristique de toutes ces personnes qui ont investi les rues est d’être non violentes. Même si ces rassemblements ont parfois été réprimés très violemment, les manifestants se veulent pacifiques.
Les principales causes de tous ces mouvements ont été le manque de libertés individuelles et publiques, l’opposition à un système politique autocratique et essentiellement basé sur la corruption ne profitant qu’à certains privilégiés, l’extrême misère liée à un coût de vie élevé (nourriture de base trop chère), un taux de chômage très élevé (surtout chez les jeunes) ainsi qu’un besoin de démocratie qui ne soit pas une simple façade. La liberté, la dignité et la justice sociale, ainsi que l’accès aux aliments de première nécessité, constituent le nerf du Printemps arabe. Les soulèvements se réclament de valeurs humanitaires universelles et ne comportent pas, à l’origine, de demandes d’ordre religieux. Les jeunes réclament le départ, voire la démission de leurs dirigeants.
La rapidité de la diffusion de tous ces soulèvements est inhérente à l’usage des technologies de communication modernes en ligne par la jeunesse. Certains journalistes ont d’ailleurs parlé de “révolution Facebook”, ou “révolution Twitter”, ou encore “révolution WikiLeaks”. Effectivement, c’est le moyen essentiel que les jeunes ont choisi pour se tenir informés, partager, témoigner et mobiliser. Internet, et plus particulièrement Facebook, est ainsi devenu dans ces pays la plateforme privilégiée pour l’organisation de rassemblements populaires.
Et aujourd’hui, où en sommes-nous?
En mars 2019, ce sont plusieurs milliers d’étudiants algériens qui défilent dans le centre d’Alger pour réclamer à nouveau le départ du président Abdelaziz Bouteflika, qui finira par renoncer à briguer son 5e mandat en avril 2019 après 20 ans passés au pouvoir.
Tous les jours, des événements relatés dans la presse internationale nous prouvent que le Printemps arabe n’est pas terminé. La révolte, les révoltes sont toujours en cours.
Même si dans un premier temps, l’immense espoir d’un monde arabe nouveau, libre et démocratique a dégénéré en guerres civiles en Syrie, en Libye, au Yémen et en Irak; même si à la place de démocraties, des pays comme l’Egypte, le Bahreïn ou le Maroc sont devenus des dictatures encore plus répressives; même si les islamistes ont gagné les premières mises (car ils étaient les mieux organisés et avaient incarné l’opposition réelle aux régimes autoritaires); de nombreux observateurs pensent qu’on ne peut pas encore parler d’échec. Ce mouvement vers plus de démocratie, de pluralisme, de lutte contre la corruption est toujours en cours, il s’inscrit dans le long terme.
Reste à déplorer les milliers de morts, les milliers de personnes torturées et emprisonnées injustement, la grande immigration et traite d’humains qu’il en résulte et… l’absence de l’aide internationale.
Mais aussi et enfin, reste à saluer ces jeunes et moins jeunes d’un incroyable courage, dignes, qui se rassemblent pour que la liberté et la justice soient leur quotidien en dépit des risques qu’ils prennent.
“Encore aujourd’hui dans la presse” – Les titres pourraient s’imbriquer les uns “sur” les autres :
Sur le sujet, encore aujourd’hui dans la presse :
Le Soir – 31/03/2019 – «Tu paies ou on te prend un rein», les migrants dans l’enfer libyen
(…) La Libye est pointée du doigt pour les actes de tortures et inhumains qui s’y déroulent à l’égard des migrants. Marqué au fer dans sa chair, Adem Omar le raconte. L’enfer. A chaque fois la même métaphore pour décrire les conditions de vie des migrants en Libye. Un enfer sans issue…
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BRUT – 25 mars 2019 – La « révolution du sourire » en Algérie
Depuis un mois chaque vendredi, les Algériens descendent massivement dans les rues. Des manifestations monstres qui se déroulent de manière pacifique et pratiquement sans incident…
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La Libre – 6 avril 2019 – Bouteflika parti, les Algériens dans la rue pour maintenir la pression
(…) Déterminés à se débarrasser du « système » dans son ensemble, les Algériens sont à nouveau descendus très nombreux dans la rue, pour le septième vendredi consécutif.
« On ne pardonnera pas! », ont notamment scandé les manifestants, en référence à la lettre d’adieu mercredi du chef de l’Etat, dans laquelle il a demandé pardon aux Algériens…
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Le Monde – 11 avril 2019 – Au Soudan, les femmes à la pointe de la révolte : « On ne veut pas juste changer ce dictateur, on veut changer le monde »
(…) Il faut juste capter l’éclair du regard d’Alia pour comprendre ce qui l’anime en réalité. C’est un volcan qui aurait choisi sa manière d’entrer en éruption : calmement, posément, mais avec tout le feu de la Terre…