Quelle révoltée suis-je ?

Quelle révoltée suis-je ?

Je ne suis pas une révoltée de la pancarte,
Pas plus de la manifestation.
Je ne hurle pas mon désarroi.
Je ne fais pas de bruit.
Je suis plutôt du genre à ouvrir l’œil.
Être aux aguets au cas où.
Le renfort sur le banc de touche.
La fille « si besoin, je suis là !», 

Mais à prier pour ne pas avoir à bouger. 

Parfois, je signe des pétitions.
Parfois, je passe à l’action.
Je cherche la part du colibri dans le foisonnements de gestes à faire. 

Puis, je m’auto-congratule : « Good job ! ».
C’est ma petite gommette de citoyenne. 

Parfois, tout ça, ça change la donne. 

Mais, souvent, pas.
Trop discret.
Trop petit. Trop … 

Je ne suis pas, non plus, celle qui frappe. Je ne m’impose pas sur le ring. J’aurais même plutôt tendance à recevoir. 

En silence. 

Ben oui, je ne réponds pas.
Pas que je ne veuille pas, mais ça ne vient pas.
Ou alors, bien après, quand le champ de bataille est déserté.

Ce qui vient, par contre, immédiatement, en réponse à l’injustice: ce sont les larmes.
Celles que l’on cache, que l’on retient par orgueil, pour garder la face.
Simultanément à cela, il y a les muscles de la mâchoire qui se contractent, les dents qui crissent … 

Et la bave.
Mais ça, ce n’est pas vraiment voulu. 

De même, il y a la gorge qui se serre, la nausée.
Puis, il y a le chaud de l’épiderme, la rougeur.
Comme la lave d’un volcan sous-cutané. 

Pourtant, pas d’éruption en prévision.
Le sismographe est plat. 

Tout ça, c’est peut-être parce que j’ai bien appris à me taire, à ne pas faire de vague, à être une bonne fille. 

Ma révolte, c ‘est, peut-être, un peu, comme le générique bas de gamme d’une boisson aux bifidus actifs qui aurait, en outre, loupé sa vocation, car ce qu’il produit à l’intérieur, ne se voit, nullement, à l’extérieur. 

Une révoltée en sourdine.
Voilà, ce que je dois être ! 

Je pense que nous sommes nombreux, nous, les bisounours de la colère. 

Ceux qui se disent « A quoi bon ! Je me gère moi, ce n’est pas si mal. Si tout le monde en faisait autant »
Ceux qui , tels des petits Poucets, dispersent de-ci de-là de petites actions pour ne pas perdre totalement foi en l’humanité.
Ceux qui, trop souvent, sont honteux de n’être pas plus valeureux , pas plus consciencieux.
Ceux qui se sentent désemparés face à l’immensité de la tâche.
Ceux qui se sentent esseulés.
Limités. 

J’aimerais remplir les rangs,
Grossir la foule des militants,
Faire le poids,
Avoir du répondant,
Choisir la révolte bruyante,
Libérer le fracas de mon indignation. 

Au lieu de cela,
Au lieu de la colère brute qui pourrait s’échapper de moi et que je n’assumerais peut-être pas, 

Je distille mes guerres intestines dans les mots, dans le vers ,dans ce que je créée.
Je transpose, je transforme, je poétise. 

Ainsi, chemine ma révolte. 

Du corps au cœur en passant par l’esprit. 

Ainsi, suis-je révoltée. 

Une révoltée à pas feutrés.