Il n’y a pas de Mort … ou presque !

Il n’y a pas de Mort … ou presque !

Ceci est l’histoire d’une force surnaturelle qui nous hante toujours. L’idée que la mort n’est pas une fin existe depuis la nuit des temps mais le romantisme du 17e siècle nous a convaincus que les esprits des morts « vivent » parmi nous. Cette histoire débute avec le mouvement du spiritualisme et comment celui-ci inspire certains mouvements sociaux de nos jours, comme l’écologie. Pour comprendre cela nous allons commencer par expliquer le jeu ouija.

Notre récit commence avec Henry Wadsworth Longfellow, un poète américain. Longfellow a une histoire personnelle fascinante qui a sans doute joué un rôle important dans son oeuvre. Né aux États-Unis, il étudie les langues et se voit rapidement offrir un travail en tant que professeur (de langues). Cependant il décide de voyager et part en Europe. Pendant son voyage il se marie avec son amie d’enfance, Mary Storer Potter, son premier amour. Quatre ans plus tard il décide de retourner aux États-Unis pour devenir professeur à Harvard, mais le destin lui joue un mauvais tour :sa femme fait une fausse couche et perd la vie. Dévasté, il se met à écrire des poèmes bouleversants, dont le fameux « Footsteps of Angels ». Ce poème fait froid dans le dos tant il décrit bien son marasme.

Henry Wadsworth Longfellow

Cette profonde tristesse se traduit dans son oeuvre par son style qui suit, entre autres, la tendance littéraire de l’époque… le spiritualisme. Il découle du romantisme, qui cherchait des héros, des individus aux histoires fabuleuses et aux exploits extraordinaires. Ce mouvement préférait l’intuition et les émotions à la raison et au réel. Le spiritualisme n’est qu’une partie de ce courant et se caractérise par la croyance que notre monde et l’au-delà coexistent. Nous pouvons tous imaginer pourquoi une telle croyance était importante pour Longfellow.

En 1949 Longfellow écrit le poème « Resignation » dont une des strophes est la suivante:

There is no Death ! What seems so is transition ;

This life of mortal breath
Is but a suburb of the life elysian,

Whose portal we call Death.

Il n’y a pas de Mort ! Ce qui lui ressemble n’est qu’une transition ;

Cette vie de souffle mortel
N’est que le faubourg des champs élyséens

L’entrée dans ce dernier nous l’appelons la Mort

Longfellow perçoit notre monde comme une sorte de faubourg de l’au-delà. De nos jours nous dirions que notre monde de mortels n’est qu’une dimension parallèle de l’élysée. Cette strophe a donné lieu à un livre de Florence Marryat, « There is no death », qui explore la question de l’individu et de sa mort. Longfellow a continué à vivre dans le Massachusetts et s’est remarié. Ses poèmes ont bien marché et il fait partie des rares artistes de son temps qui ont connu le succès. Pourtant sa malchance l’a poursuivi et de manière plutôt ironique si l’on considère ses poèmes qui parlent du rapport des morts et des vivants. Sa seconde femme a aussi perdu la vie dans un affreux accident. Sa robe a pris feu et elle a littéralement brûlé devant ses yeux en 1861. On pourrait parler d’une version réelle du monde décrit dans ses poèmes où morts et vivants coexistent.

À la même époque dans le Massachusetts vit un autre monsieur, Elijah Bond. Cet avocat et inventeur a capturé la pulsion du spiritualisme en lui donnant la forme d’un jeu, le ouija. Ce jeu est en réalité juste un tableau avec des chiffres et des nombres ordonnés, ce qui semble plutôt ennuyant pour un jeu. L’intrigue du jeu se passe surtout dans nos têtes. Pour jouer, on place un verre au milieu du tableau et on invite un esprit. On touche le verre avec la pointe de l’index et avec la force de « l’esprit » on choisit les lettres qui forment les mots et les phrases. La question se pose alors… Sommes-nous en train de faire bouger le verre ou est-ce un esprit qui nous guide ?

Quelques années plus tard c’est William Fuld, un employé de Bond, qui continue la production de ce jeu iconique. Son nom est devenu tellement un synonyme du jeu qu’il a commencé à se présenter comme son inventeur. Il ajoute par ailleurs une nouvelle étymologie au mot « ouija ». Jusque là on pensait que le mot voulait dire « bonne chance » et provenait de l’égyptien de l’antiquité. La version de Fuld adopte une vision moins « épique » en postulant qu’il s’agit juste des oui français et allemand réunis. Fuld étant un homme d’affaires intelligent, il avait peut-être pressenti qu’après le romantisme allait venir une période de désenchantement. Après tout, rien n’est plus puissant qu’uneidéologie à laquelle on croit à moitié.

La manière dont Fuld a volé l’invention de Bond est une histoire qui pourrait faire l’objet d’un article à elle seule. Ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt l’impact de ce jeu, toujours palpable aujourd’hui. En 2017, Netflix sort le film Verocina. Ce film est basé sur une histoire réelle des années 90, celle d’une fille qui a joué au ouija board et a été retrouvée morte quelques jours plus tard. Ce jeu continue de nourrir des histoires de ce type. L’histoire du ouija est une fabuleuse aventure partie d’une idée romantique qui a survécu au désenchantement du 20eme siècle pour enfin rejoindre un nouveau romantisme dans le 21e.

De nos jours, nous avons abandonné la discussion sur la nature de la réalité et du pouvoir. Des fake news au désintérêt pour la politique, nous voyons que de plus en plus nous nous approchons de l’idée du ouija. Nous acceptons une réalité fabriquée que nous croyons à peine comme celle du verre du ouija. Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’esprit, comme tout le monde sait que généralement il y a une personne qui prend les devants dans le jeu, cependant nous croyons tous peu ou prou au mythe. Des chercheurs ont démontré que l’écriture automatique n’est rien d’autre qu’un phénomène psychologique qui porte le nom « effet idéomoteur ». Cet effet peut être conscient – quelqu’un veut passer un message précis – ou inconscient. En gros que ce soit conscient ou inconscient, en français, on peut dire qu’il s’agit d’une arnaque.

Buriel, un musicien britannique, faisait lors d’un entretien la comparaison entre le ouija board et les réseaux sociaux. Alors qu’il était entrain de travailler sur son ordinateur, il a commencé à visiter des pages de réseaux sociaux. Rapidement, il s’est retrouvé en train de répondre à des gens qui avaient des avis d’extrême droite. Il s’est senti emprisonné dans un ouija board où un algorithme l’amenait à réagir alors que lui n’avait pas forcément envie de le faire au départ. On peut parler ici d’un effet d’écriture automatique, un effet idéomoteur créé par un algorithme qui a pour but la pérennité des réactions sur une page en ligne. Notre société a en fait créé un ouija board géant et soit on participe, soit on s’exaspère et on désespère devant la monstruosité des propos.

Cette nouvelle culture ouija anime même les mouvements les plus rationnels. L’écologie, par exemple, fait partie de ce jeu. Nous sommes en train de nous disputer sur combien d’années il reste à l’humanité mais aussi sur des questions de lifestyle comme : devons-nous manger de la viande? En réalité cela n’est pas la vraie question de l’écologie mais peu importe. Nous avons tous une opinion et nous faisons comme si ces sujets étaient la réalité. Comme le joueur du ouija est pris par la fascination des esprits, nous sommes fascinés par la vivacité des débats stériles.

La question du pouvoir et de la réalité est secondaire quand il s’agit de problèmes fondamentaux de notre société. Il est triste de voir tellement d’énergie et de passion gaspillées. Le monde politique nous dit clairement que nous devons attendre que les entreprises se décident sur la meilleure solution écologique. Nous, on entend que nous devons nous mobiliser pour changer les choses, pour éviter le « mur » mais nous n’avons aucune idée de ce que nous voulons faire ni de comment le faire. Au contraire, nous nous attardons dans de bêtes discussions sur la question de savoir s’il est préférable d’être vegan ou de mourir de faim. L’effet idéomoteur se présente devant nous et au lieu de choisir de trouver une solution qui nécessite la rupture, nous décidons de « jouer au ouija ». Pour donner un dernier exemple plus clair en ce qui concerne l’écologie, les enfants qui descendent dans la rue n’ont certainement pas de solution à proposer. Cependant, on ne peut qu’admirer la manière dont ils se battent pour changer les choses. En réalité ce changement demande beaucoup plus que de simples actions et de simples remèdes comme, par exemple, l’éradication du plastique des supermarchés. En réalité, il faut croire à un monde meilleur. Pourtant, je ne sens pas que nous faisons des pas marginaux vers l’avenir mais que l’on regarde droit dans l’abîme derrière nous. Hélas, le changement ne viendra que si l’on imagine un nouveau monde mais cela demeure impossible car notre imagination, nous l’utilisons que pour l’ouija. Comment rêver une utopie alors qu’on se focalise dans des cauchemars ? Comme le dit le grand philosophe, « À force de regarder l’abîme, l’abîme regarde en nous ».

En Mars 1978, les Brigades rouges italiennes ont kidnappé Aldo Moro, qui était le chef du parti chrétien. La question qui secoue alors l’Italie est de savoir où il se trouve. Romano Prodi, qui plus tard est devenu premier ministre italien et président de la Commission européenne, se lance à la recherche du lieu secret. Il révèle qu’il a utilisé un ouija board pour communiquer avec les anciennes victimes des Brigades rouges, qui lui ont révélé le lieu. Il s’est cependant trompé et Aldo Moro a été retrouvé mort ailleurs. Voilà un exemple où la réalité se mêle avec l’absurde. La question qui demeure est bien celle de choisir sa révolte sinon l’écriture automatique nous amènera au drame.